Recluse dans la bicoque abandonnée, amère et délaissée, tu t’es laissée aller à des élucubrations intérieures passionnées. Aux côtés de ton amie, la paranoïa qui s’était invitée dans les parois crispées de ton cœur rachitique et fermé.
Comment respirer, se laisser aller, dans un monde d’apparente normalité lorsque le sort t’avais frappée. Évidemment que ton coup de sang avait l’apparence d’un caprice superficiel, d’un trait tout à fait caractériel.
La vérité est que cela aurait pu être une corne acérée, un bouton malformé aussi bien qu’un trou béant dans lequel se reflète le néant.
Qu’importe la nature de l’abjecte vérité, tu es seule.
Ta forteresse, tu l’as créée.
La voilà, dressée et tu en es le bras armé.
À la défendre constamment, enragée.
À force d’être enterrée parmi ces murs craquelés, ce parquet gonflé par l’humidité, il faut croire que tu as assimilé chaque petit effet que le temps avait sur ce lieu délaissé. À la manière dont le vent s’engouffre dans la cheminée bouchée, dont les branches cognent aux fenêtres opaques.
Crack.
Un nouvel ongle fissuré entre tes canines crispées. La douleur en piqûre de rappel, un léger sursaut remue ton corps ramassé. Mais rien n’est assez pour décollé ton regard aphone du vide désespéré.
Le goût âcre se répand sur ta muqueuse, tu goûtes à nouveau aux conséquences de ces mutilations enfantines.
La masse est bancale parmi tes chaires grignotées, tu continues ton macabre exercice. Si celui-ci a ployé, les autres en feront autant.
Et lorsque les dix seront brisés sous ta rage camouflée, derrière tes yeux humidifiés, gonflés par les nuits passées à te maltraiter, tu seras peut-être apte à te lever. À lécher le sang séché, à faire quelque chose de tout ce temps libéré par ton exil imposé.
Un grincement sourd se fait entendre.
Lèvres entrouvertes, tu délaisses un instant ton activité car tu oses à peine respirer. Tes pupilles retrouvent une vitalité, celle de l’animal effrayé car il sait que l’on a pénétré son territoire, sa terre promise de pérennité. Une angoisse sourde au fond de ses organes malmenés.
Alors Nanna décolle ses genoux repliés de sa poitrine humidifiée par les larmes versées. Lentement, comme si le moindre geste brusque allait la briser. Elle crache l’air accumulé d’entre ses poumons alertés par le courant d’air venant de la caresser.
Elle se faufile, dos au mur. Il n’y a rien d’héroïque dans sa posture, ses omoplates effleurant le papier peint suranné. Car elle veut sentir quelque chose de tangible derrière elle, être sûre de ne pas être prise de court.
S’arrêtant à l’encadrement ouvert du salon, elle continue d’entendre les légers mouvements. Puis plus rien.
Elle gratte le mur du bout de ses ongles épargnés, espérant avoir le courage de se retourner. Disparaître par la porte de derrière est une option qu’elle entrevoie à quelques mètres, qu’elle regarde avec une envie non-dissimulé. Le courage lui manque. Mais la simple pensée de devoir abandonner le peu lui appartenant, de ne pas oser revenir sur ses pas lui est insupportable.
N’en-a-t-on pas assez de lui retirer les maigres choses qu’elle clame être sa propriété ? Le peu d’intimité qu’elle pensait posséder ?
Nanna se perd, s’exaspère.
Son cœur pourrait éclater.
Et s’il pouvait repeindre les murs moroses, elle pourrait alors feindre une certaine gaité.
Elle hausse les épaules, se prépare à se montrer, peut-être à attaquer. À part montrer les crocs, elle ne saurait se faire intimidante. Mais elle tente.
Nanna surgit de derrière le mur, hérissée, saisit l’un des bouquins posé, prête à le jeter. Mais ses yeux arrêté sur la cible désirée la font stopper.
Il y a une stupeur non dissimulée sur son visage effaré.
Car le visage observé l’a rappelé à la réalité.
Celle de la vie qu’elle possédait, il fût un passé.
Le bras levé retombe le long du corps, ballant, estomaqué.
Car elle ne saurait verbaliser ce qui vient de la transpercer.
Un fantôme, un revenant, quelqu’un qui l’a délaissé.
Bien avant cette malédiction prononcée, mais la rancœur n’a pas besoin de se justifier.
Alors elle feint Nanna, elle décide que l’amnésie l’a frappée, qu’elle n’a rien à prononcer sur le sujet.
«
Sortez d’ici ! »
Elle tremble de la tête aux pieds, ses menaces n’auront probablement aucun effet. Ce n’est pourtant pas la peur qui meurt son corps traumatisé mais la colère qu’elle ne sait contrôler. Car elle sait.
Il y a quelque chose de cruel, de médisant, à renier son existence. Refuser de le nommer, faire semblant et créer cette ambiguïté.
«
Sortez de chez moi ! »
Le ton monte.
Et elle sert le livre entre ses ongles éclatés à les faire saigner. Car elle veut et refuse toutes options qui ne seraient pas son départ. Elle ne veut pas de lui ici. Il y a quelques temps peut-être aurait-elle pu laisser sur elle glisser, les quelques remarques acérés qu’elle voulait lui infliger afin de profiter du souvenir qu’il représentait. De cette pièce commune au puzzle parfait que sa vie était.
Irrespirable, suffoquant, impardonnable.
Elle aimerait tant qu’il aille au diable.
«
Maintenant ! »
Sa voix aiguë s’éclate contre les murs, le livre est balancé, fait flancher un instant la vieille télé sur laquelle la poussière s’était déposée. Elle est sur le point de craquer et son visage est déformé, partagé. Entre une envie de s’écrouler et celle de tout brisé. Comment reconnaître la fille qu’elle était lorsqu’un tel personnage vous est présenté ?
Nanna l’ignore, s’en moque.
Elle veut le voir six pieds sous terre.
hrp — me too bb